« Si je veux, je prendrai Kiev en deux semaines. »

- Par Rémy Brauneisen -
photo Kay Nietfeld/AFP

Telle est la mise en garde faite par Vladimir Poutine, le président de la Fédération de Russie, à Manuel Barosso, le président de la Commission européenne, pas plus tard qu’hier.

Les événements d’Ukraine ressemblent étrangement à ceux qui précèdent la Deuxième Guerre mondiale.
Comme l’on craint Vladimir Poutine aujourd’hui, l’on a peur d’Adolphe Hitler à l’époque. En 1938, on concède au Führer l’annexion de l’Autriche et celle des Sudètes un peu plus tard la même année. Hitler regroupe ainsi les populations germaniques comme le fait Vladimir Poutine avec les populations russophones en Abkhazie et en Ossétie du Sud en 2008, en Crimée au début de cette année, et  c’est aussi ce qui se passe actuellement dans le Donbass.
Dans les deux années qui précédent le conflit 39-45, le Français Édouard Daladier et le Britannique Neville Chamberlain se fient aux promesses de Hitler. Et voilà que Hitler déclare le 12 septembre 1938 : « La condition des Allemands des Sudètes est indescriptible. On cherche à les annihiler. Ces êtres humains sont oppressés et traités d’une façon intolérable […] Il est temps que cesse cette privation de leurs droits. […] J’ai affirmé que le Reich ne tolèrera pas davantage l’oppression de ces trois millions et demi d’Allemands, et j’incite les dirigeants des autres nations à croire que ce ne sont pas là de simples paroles ». Si vous remplacez dans l’extrait du discours de Hitler « Allemands des Sudètes » par « Russes du Donbass », vous y verrez Vladimir Poutine.
En 1939, Hitler envahit la moitié de la Tchécoslovaquie et s’empare de Memel en Lituanie. Hitler s’en prend ensuite au couloir de Dantzig. La prise de cette bande de terrain lui permet de relier l’Allemagne à la Prusse orientale. C’est ce qui semble se profiler sur le troisième front ouvert la semaine passée par les séparatistes guidés par Moscou. La ville côtière de Novoasovsk située sur le bord de la mer d’Azov a été prise par les blindés russes. Marioupol pourrait être la prochaine ville à tomber, et le couloir qui relie la Russie à la Crimée se dessinerait alors de façon beaucoup plus évidente, s’il n’allait pas même jusqu’en Transnistrie dans une deuxième étape. En 1939, Hitler répète qu’il ne souhaite pas avaler la Pologne. C’est justement l’invasion de ce pays qui déclenche la Deuxième Guerre mondiale. En 2014, le Kremlin dit que l’Ukraine ne l’intéresse pas, et pourtant...
Reste l’idéologie chère à Hitler, et dont les analystes ne trouvent guère de signes chez Poutine. Pourtant l’expansionnisme est bien au rendez-vous. Hitler rêve d’un Reich de mille ans, Poutine rêve de voir son empire reprendre les limites de l’Union soviétique, et la Nouvelle Russie n’est qu’une première étape.  La haine que les nazis éprouvent pour les Juifs existe malheureusement aussi pour les Russes et les Ukrainiens. Vladimir Fedorowski, né d’un père ukrainien et d’une mère russe, disait récemment sur France Inter que « dans l'ouest du pays, les Ukrainiens vomissent les Russes. » L’histoire n’est pas étrangère à cela. Les crimes de masse et holodomor, l'extermination par la faim, restent encore présents dans la mémoire collective ukrainienne. Ces derniers jours, Alexandre Douguine, un théoricien politique russe, appelait sur sa page VK, le Facebook russe, « au génocide de cette race ukrainienne de bâtards ». Si les propos prononcés par Poutine après l’invasion sont rassurants, il ne faut pas se méprendre quand il dit que « Russes et Ukrainiens sont un même peuple, liés comme le sont des frères et des sœurs». Les revirements auxquels nous a habitués le président russe doivent nous rendre méfiants.

Les Européens écoutent aussi les paroles apaisantes de Poutine, ou plutôt se laissent endormir après chacun de ses coups de boutoir donné en Ukraine : Il n’y a pas de troupes russes en Crimée. Quelle belle comédie ! La Russie ne livre pas d’armes aux séparatistes du Donbass. Une belle feinte ! La Russie n’a pas de troupes en Ukraine. Oh, le vilain mensonge !
L’Union européenne, elle, déçoit, et sa passivité mine le peu de crédibilité qui lui reste si elle n’est pas clairement ridiculisée. Elle a toujours un temps de retard par rapport aux coups de force du Kremlin. Poutine utilise justement ce retard à l’allumage pour agir. Il gobe la Crimée, et en réponse l’Union européenne programme une réunion car il n’y a aucune autorité physique pour parler et décider au nom de l’Union. C’est cette faiblesse là que Poutine utilise. L’Union décide laborieusement de sanctionnettes qui amusent même les Russes. Entre temps la pression retombe et l’on se dit : Poutine a compris le message et même s’il ne va pas reculer il n’ira pas plus loin. Puis, un avion de ligne est abattu, probablement par ses protégés. Les sanctions sont maintenant plus sérieuses, mais les victimes, elles, tombent dans l’oubli chassées par le flot de nouvelles toujours plus terrifiantes. La Russie, en retour, annonce ses contre-sanctions.
Pour le polyvirat européen, la solution n’est pas militaire. C’est très bien de le croire, mais qu’est-ce qui dissuadera Poutine de pousser ses prétentions encore plus loin ? Les sanctions économiques sont peut-être efficaces mais uniquement dans le long terme, et encore, je ne me rappelle pas avoir vu un dictateur reculer pour si peu.
Depuis la plus lointaine genèse de cette affaire, les dirigeants européens se sont montrés fort médiocres. Ils ont laissé s’installer l’hégémonie énergétique russe. En quelque sorte nous avons-nous même fabriqué, avec nos euros, le monstre qui s’apprête maintenant à dévorer ses voisins. Pourtant tout le monde sait que Poutine est un autocrate, un dictateur qui se cache sous de faux airs de démocrate. Les valeurs de l’Union européenne ne sont pas les siennes. Les dirigeants européens ont aussi fait les choses à l’envers avec la Russie. Les discussions avec la Russie, que l’on essaye très tardivement de pousser maintenant sur la table des négociations, auraient dû être menées voilà des années entre l’Ukraine, la Russie et l’Union européenne, et en tout cas avant que nous devenions si dépendants du gaz russe. Encore une fois, seuls les aspects économiques ont été pris en compte et les intérêts politiques ignorés car le business de l’Europe ce n'est pas la politique étrangère et encore moins les affaires militaires.
Une différence avec 1938 et 1939, c’est que le camp occidental ne possède pour l’heure aucun Chamberlain ou Churchill, et dans cette cacophonie européenne des 28 chefs d’État, des présidents de la Commission européenne et du Parlement européen, les décisions ne sont que plus difficiles à prendre.
En remettant d’une semaine de possibles nouvelles sanctions, l’Europe, une fois de plus, montre sa faiblesse à Poutine. Pire, elle semble se donner du temps en attendant d’en discuter avec le président Obama lors du prochain sommet de l’OTAN alors que le temps presse. L’Europe a bien du mal à tenir un discours ferme face à Poutine et montre que l’une des plus fortes puissances économiques au monde compte plus que jamais sur les États-Unis pour la sécurité du monde et sa propre sécurité alors que le président Obama, lui, ne souhaite plus montrer autant de détermination à garantir l’ordre mondial. À chaque nouvelle poussée de fièvre en Ukraine, le président américain confirme son soutien à l’Ukraine mais ne peut s’empêcher de rajouter qu’il exclue toute opération militaire. Est-il obligé de la dire ?

La présidente lituanienne Dalia Grybauskaite, dont le pays s’inquiète de l'agressivité russe et craint pour ses propres frontières, dit que l’Union européenne devrait fournir du matériel militaire à Kiev. Au sommet des chefs d’État européens du 30 août 2014, elle s’est exprimée ainsi :
« La Russie est en guerre avec l’Ukraine et contre un pays qui veut faire partie de l’Europe. La Russie est pratiquement dans un état de guerre contre l’Europe ».

Angela Merkel, la chancelière allemande, est opposée à ce que l’Ouest fournisse des armes à l’Ukraine car dit-elle, à ce même sommet :
« Nous ne devrions pas donner l’impression qu’en envoyant des armes et en renforçant l’armée ukrainienne nous pourrions apporter une solution. »

Pendant ce temops Vladimir Poutine sert la terreur à des étudiants russes : « Il vaut mieux ne pas jouer avec nous… La Russie est l’une des principales puissances nucléaires ».

Ces propos sont aussi un aveu de faiblesse de la part de Vladimir Poutine qui est par ailleurs mis en évidence par certaines voix dissonantes russes. Ainsi Gary Kasparov, le champion d’échec et opposant au président russe dit :
« Poutine est en Ukraine car il a besoin de la guerre et de la propagande pour rassembler chez lui, pour distraire d’une économie en mauvaise situation et d’une société civile moribonde ».

Nous allons donc clairement vers de nouvelles sanctions économiques. Le problème c’est que la maison Ukraine est en feu et que les pompiers européens en sont seulement à réfléchir à la marque et à la couleur du camion qu’ils achèteraient pour éteindre l’incendie. Les sanctions n’ont qu’un effet à long terme, et même si elles entrainent une hausse des prix en Russie, ou une baisse significative de la croissance, elles ne provoqueront pas un effondrement de l’économie russe que personne ne souhaite par ailleurs. Il y a d’autres moyens plus rapides et qui auraient davantage d’impact sur le président Poutine. Exclure la Russie à la fois du G20, du système de paiement international SWIFT –l’idée a été reprise le week-end dernier par David Camron- et retirer à la Russie le droit d’organiser la coupe du monde de football 2018 pourraient être des sanctions avec des effets à plus court terme.

Sauf à renier ses valeurs, l’Union européenne se voit maintenant acculée à faire un choix car les forces gouvernementales n’ont plus aucun espoir de l’emporter à court et à moyen terme. Chaque jour qui passe le chaos s’installe davantage en Ukraine, chaque jour des civils et des militaires meurent, et chaque jour le pays s’enfonce dans une crise économique dont il aura beaucoup de peine à s’extraire. L’Union européenne s’est réjouie du rapprochement de l’Ukraine, elle a vivement encouragé ce long processus lancé voilà des années pour arriver à ce partenariat économique qui devrait être ratifié ces prochains jours. À défaut d’avoir su anticiper, il faut maintenant en fonction du  niveau de honte que l’on est prêt à assumer, soit pousser le président Porochenko à négocier l’abandon d’au moins une partie du Donbass, soit proposer la finlandisation de l’Ukraine ou encore  livrer très rapidement des armes antichars pour les bataillons de volontaires qui se battent avec des kalachnikovs contre des blindés russes, fournir du renseignement militaire car les séparatistes bénéficient du support des images satellites russes, doter les Ukrainiens de systèmes de communication cryptée car les Russes écoutent les téléphones mobiles utilisés par les combattants ukrainiens. Il ne s’agit pas d’envoyer des troupes en Ukraine, mais de donner la possibilité aux Ukrainiens de mieux se défendre face à l’agresseur russe.
À défaut l’Union européenne sera traitée de lâcheté, d’esbroufe, tant par les Ukrainiens que les Russes, et ne pourra que se féliciter d’avoir donné des espérances à l’Ukraine pour l’abandonner ensuite pour qu’elle soit démembrée et redevienne un état vassal de la Russie. Tiens ! Du coup, je pense à la trahison de l’Ouest et aux accords de Munich de septembre 1938 qui scellent le sort de la Tchécoslovaquie.



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