Deux, trois bonnes raisons pour ne pas abandonner l’Ukraine - (2) Prolifération et terreur nucléaires
par Rémy Brauneisen
Dans l’oblast de Kirovohrad, à Novokonstantinovsk, l’exploitation d’une mine d’uranium a commencé en 2011. Cette mine recèlerait le plus grand gisement d’uranium d’Europe.
Le Kremlin
est resté attaché à quelques vieux schémas soviétiques datant de la Guerre froide ce qui n’est pas
étonnant en soi. En tant qu’ancien officier du KGB, Vladimir Poutine
n’aurait-il pas été formaté pour penser que même si tout poussait à croire le
contraire, il fallait se méfier de ses voisins occidentaux et américains en
particulier. Il voit bien entendu l’Union européenne comme un partenaire
économique incontournable, mais également comme un conglomérat de pays décadents et une menace du fait de la présence des États membres dans l’OTAN.
Du point de vue russe, depuis
la chute de l’Union soviétique, l’OTAN se rapproche dangereusement de ses
frontières, et menace directement son glacis défensif, l’Ukraine a fortiori
depuis la destitution du président prorusse Yanoukovitch.
Si l’Union européenne n’a pas vocation à annexer ni
ses voisins ni tout territoire ailleurs dans le monde, la Russie bien au
contraire a encouragé les séparatistes de différents états d'Europe de l'Est. L’Ossétie du Sud,
une région de la Géorgie, se trouve dans ce cas. À partir de 1991, des
séparatistes armés revendiquent son rattachement à l’Ossétie du Nord faisant
partie de la Russie, et depuis la Deuxième Guerre d’Ossétie du Sud de 2008,
l’armée russe occupe la région.
L’Abkhazie, un autre territoire géorgien a subi un scénario similaire.
En Transnistrie, territoire largement russophone situé dans l’est de la
Moldavie, la situation de statu quo qui prévalait est mise à mal par la demande
de rattachement à la Fédération de Russie de mars 2014. La Crimée, elle, est
purement et simplement annexée. Les États baltes et la Pologne se
sentent directement menacés par les bruits de bottes et les canonnades qui se
laissent entendre chez leur voisin. L’Estonie possède aussi une forte
population russophone, et le Kremlin pourrait fomenter des troubles comme en
Ukraine. Le risque semble cependant moins élevé car il n’est pas certain que
les russophones d’Estonie veuillent échanger leur place dans une Europe
démocratique plutôt riche pour retourner sous la coupe d’un régime autocratique limitant de plus en plus les libertés individuelles. Cela dit, quelques dizaines
de citoyens russes lourdement armés réussiraient à créer de l’instabilité dans
les Pays baltes en traversant la frontière. Les candidats à ces jeux ne
manquent pas dans le Donbass. La Pologne au contraire est inquiète du
déploiement de missiles Iskander dans l’enclave de Kaliningrad. Ces missiles
balistiques à charge conventionnelle ou nucléaire ont une portée maximum de 500
kilomètres et constituent donc une menace directe pour les Polonais. Ces
missiles sont la réponse directe de Poutine au bouclier antimissile
américano-européen déployé à ce jour qui vise à sanctuariser les États-Unis
en protégeant par la même occasion l’Union européenne d’un éventuel tir de
missile iranien. Si telle est la version officielle, personne n’est dupe pour autant,
et le système vise également les missiles russes, ce qui, selon Moscou, remet
en question l’équilibre de la terreur. Par contre, le comportement agressif de
la Russie en Ukraine donne raison à l’OTAN et au Pentagone. Le 30 juillet
dernier, William G. Taylor, ancien ambassadeur américain en Ukraine, s’est
exprimé devant la Chambre des représentants des États-Unis, et selon lui, « la
Russie est la plus grande menace à la paix en Europe ».
missile Iskander russe - photo RIA Novosti
En Russie,
le rationnel s’efface poussé par la montée du nationalisme accompagnée d'une propagande clairement anti-occidentale des médias russes, tous pilotés par le Kremlin. Face aux sanctions
économiques décidées par les États-Unis, l’Union européenne, le Canada,
l’Australie et le Japon, Vladimir Poutine n’a pas cédé un pouce de terrain, ce
qui est loin de déplaire pour l’heure à son opinion publique, car la Russie
souffre d’un complexe d’infériorité depuis la chute de l’Union soviétique.
D’acteur majeur d’un monde essentiellement bipolaire la Russie est passée à un second rôle. Elle conserve certes
un vaste territoire, mais a été quelque peu oubliée en terme de politique
étrangère par les principaux acteurs et la voilà qui rue maintenant violemment
dans les brancards, un peu comme le mauvais élève d'une classe qui fait des coups pour se faire remarquer. Économiquement, elle ne peut guère prétendre mieux que d’être
un bon fournisseur énergétique. Avec son PIB sensiblement équivalent à celui de
l’Italie, la Russie est en effet encadrée par des mégapuissances, la Chine, les
États-Unis et l’Union européenne. Le bon sens aurait voulu qu'elle se rapproche de l'Union européenne pour arriver à terme à construire la vision de Charles de Gaule qui parlait d'une Europe de l'Atlantique à l'Oural.
De fait, la Russie n’existe sur la scène
internationale ni par la grandeur de son pays et sa riche culture, mais pour ses réserves énergétiques et par la peur que le Kremlin entretient dans la mémoire collective occidentale avec
son arsenal nucléaire. La grandeur d’une nation ne réside pas dans le nombre de têtes nucléaires dont elle dispose ou de sa capacité
à organiser les Jeux olympiques ou la coupe du Monde de football, mais dans son
aptitude à promouvoir la démocratie, à vivre en paix avec ses voisins, à
améliorer le sort de ses citoyens, et cela sans les fanatiser à coup de propagande, et encore moins à les brimer.
Si la Russie effraye les dirigeants de l’Union
européenne c’est qu’elle ne peut pas se passer, du moins à court et à moyen
terme, du gaz russe, et si l’administration Obama fait tout pour éviter une
escalade c’est qu’elle craint autant la prolifération de l’arme nucléaire dans
le monde que les missiles nucléaires russes.
Ainsi, comment dissuader l’Iran et les autres prétendants de devenir une
puissance nucléaire si la Russie, signataire du mémorandum de Budapest de 1994,
agresse l’Ukraine et procède à un Anchluss d'une partie de son pays.
Le mémorandum de Budapest a privé l’Ukraine de
l’arme nucléaire en échange d’une garantie internationale de respect de
l’intégrité territoriale donnée par les États-Unis, le Royaume-Uni et la
Russie ! L’Ukraine s’est également débarrassée de son stock d’uranium enrichi à
la suite d'un autre accord signé en septembre 2011 avec Washington. Les 90
kilogrammes de matière fissile qui auraient permis la fabrication de plusieurs
bombes atomiques ont été entreposés en… Russie.
Le grand frère slave devenu soudainement son
ennemi, l’Ukraine pourrait être tentée à l’avenir de se munir de l’arme
nucléaire pour dissuader son voisin de toute agression future, et elle en a les
capacités. Le nucléaire en Ukraine ne se résume pas à la catastrophe de
Tchernobyl. Le pays dispose d’une quinzaine de réacteurs nucléaires, d’un
savoir-faire, de gisements d’uranium. Même s'il reste un doute quant à ses capacités d’enrichissement
de l'uranium, les principaux ingrédients sont réunis pour fabriquer de belles bombes
atomiques.
Centrale nucléaire de Khmelnitski en Ukraine
Avec ses quinze réacteurs nucléaires, l’Ukraine
est le 8e producteur mondial d’électricité d’origine nucléaire. À
Khmelnitski, une ville située à mi-chemin entre Lviv (anciennement Lemberg, une place forte austro-hongroise durant la Première Guerre
mondiale) et Kiev, se trouve la centrale nucléaire la plus moderne du pays. Les
deux premiers réacteurs achevés en 1988 et 2005 ont été financés en partie par
la banque européenne pour suppléer à la fermeture de la centrale de Tchernobyl.
Les réacteurs n°3 et 4 seront mis en service respectivement en 2015 et 2016. Un
centre de recherches nucléaires se trouve à Kiev et l’Université Nationale
Taras Shevchenko enseigne la physique nucléaire à ses étudiants. L’Iran a d’ailleurs
largement recruté des ingénieurs atomistes en Ukraine…
Vue satellite de la centrale de Khmelnitski :
Dans l’oblast de Kirovohrad, à Novokonstantinovsk, l’exploitation d’une mine d’uranium a commencé en 2011. Cette mine recèlerait le plus grand gisement d’uranium d’Europe.
On comprend donc que ni l’Union européenne ni les États-Unis
n’ont intérêt à abandonner l’Ukraine. Cette dernière se trouve prise entre deux blocs,
l’un se montrant ouvertement hostile l’autre un peu trop passif, et elle pourrait de ce fait fort bien
développer des armes nucléaires pour assurer, toute seule, sa sécurité.
Comprendre le bouclier antimissile avec Arte et Le
Dessous des cartes : https://www.youtube.com/watch?v=xjVMMslHtCs
Vladimir Poutine évoque le bouclier anti-missile :
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